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Discours d’introduction de Geneviève Fioraso

« Je voudrais tout d’abord remercier Hélène Conway-Mouret, Sénatrice des Français hors de France, d’avoir pris l’initiative d’organiser ce colloque dont le thème «Les Français à l’étranger, un atout pour la France » est plus que jamais d’actualité, dans un monde aux frontières de plus en plus mobiles, surtout pour les jeunes générations.

Je suis donc tout à fait heureuse d’introduire la table ronde « la mobilité internationale des jeunes : opportunité ou nécessité ? ».

Quelques éléments factuels tout d’abord sur cette mobilité.

Premier constat : notre pays accueille aujourd’hui près de 300 000 étudiants étrangers, du premier cycle au doctorat puisque 42 % de nos doctorants sont étrangers. Cette internationalisation de notre enseignement supérieur et de la recherche a une suite et notre recherche bénéficie de cet apport international, je prendrais un seul exemple, celui du CNRS, avec ses 31 % de scientifiques étrangers : sur 35 000 chercheurs, cet apport de scientifiques de haut niveau est essentielle. Et cela contredit au passage les affirmations selon lesquelles on « exporterait » nos meilleurs éléments pour accueillir les moins bons. Tout ce qui va à l’encontre du French bashing mérite d’être signalé.

Si j’ai commencé par l’accueil des étudiants étrangers, dont près de la moitié viennent d’Afrique Sub Saharienne et du Maghreb, ce qui est bénéfique à la francophonie et à nos relations avec des pays dont le taux de croissance est en moyenne de 5 %, c’est pour souligner que notre pays accueille 5 fois plus d’étudiants qu’il n’en envoie à l’étranger. Si nous sommes revenus au 3ème rang mondial pour l’accueil d’étudiants étrangers, en premier lieu les Marocains et les Chinois, deux ans après l’abolition de la circulaire Guéant, qui nous avait fait régresser au 5ème rang, nous sommes seulement au 6ème rang pour la mobilité de nos étudiants, avec 62 500 étudiants inscrits à l’étranger, dont une petite moitié par le dispositif Erasmus. Nous pouvons donc progresser en matière de mobilité des étudiants à l’étranger et nous devons progresser.

Pour plusieurs raisons : à la fois culturelles, économiques et sociales.

Sur le plan culturel et de l’épanouissement des étudiants d’abord : toutes les études démontrent que les séjours à l’étrangers sont formateurs et les étudiants Erasmus, consultés à maintes reprises, le disent eux-mêmes : étudier à l’étranger favorise la confiance en soi et l’autonomie, fait découvrir de nouvelles cultures et offre une meilleure compréhension du monde complexe et multiculturel dans lequel nous vivons. C’est la meilleure arme contre le populisme, les messages simplistes et le repli sur soi. Et cela permet d’acquérir, pour ceux qui n’ont pas eu l’opportunité de voyager en famille les codes pour se débrouiller à l’international : sur le plan linguistique, mais aussi administratif, culturel.

Sur le plan économique, la mobilité des étudiants favorise aussi la compétitivité de notre pays. Tout d’abord, en matière d’insertion professionnelle : à CV équivalent, un jeune à la recherche d’un premier emploi qui dispose d’une expérience professionnelle à l’international augmente ses chances d’embauche de 60 %. Ils sont aussi plus nombreux à créer leur entreprise que les autres et leur mobilité professionnelle est deux fois plus élevée. Et le taux de chômage des anciens Erasmus par exemple est nettement inférieur à celui des étudiants non mobiles.     Et puis les programmes de mobilité ont des conséquences, qui n’avaient pas été anticipées : on estime en effet à plus de 1 million les bébés Erasmus, avec les doubles cultures que cela ne manquera pas de développer et dont j’espère qu’elles conforteront au-delà de la bi-nationalité une communauté européenne qui en a bien besoin. La France, deuxième bénéficiaire d’Erasmus après l’Espagne, y prend toute sa part.

Alors, puisque les avantages sont si évidents, pourquoi n’y a-t-il pas davantage de jeunes étudiants qui partent en mobilité et quelles mesures en cours et à venir pour y remédier ?

En tant que ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, j’avais identifié plusieurs freins à la mobilité et pris des initiatives en conséquence.

Le premier obstacle est d’ordre social et financier. Ce n’est pas un hasard si les étudiants issus des écoles constituent 60 % des effectifs des étudiants en mobilité. D’abord, c’est vrai, parce qu’elles ont intégré avant les universités l’expérience internationale dans leur cursus de formation, souvent d’ailleurs comme un passage obligé, avec des recrutements plus nombreux de professeurs étrangers, mais aussi parce que leurs étudiants sont issus en moyenne de familles mieux informées, aux revenus plus élevés et ayant davantage la culture de l’international. Et ces étudiants issus des écoles ne vont pas à l’étranger pour fuir la France, comme je le lis parfois, encore un signe de notre tendance à la dépréciation. Un sondage mené en 2014 par HEC auprès des premières années fait apparaître que si 60 % d’entre eux veulent débuter leur carrière à l’étranger, c’est d’abord par envie de voyage et découverte, pour trouver ensuite de meilleurs opportunités de carrière et moins de 10 % à cause d’une image négative de leur pays qu’ils auraient envie de quitter.

Autre signe des inégalités sociales face à la mobilité, sa grande faiblesse dans les filières courtes, en particulier dans les filières professionnelles ou technologiques, là où les jeunes issus de familles modestes sont les plus nombreux. Il est vrai que, sous l’action des pouvoirs publics et de leurs agences, je pense à Campus France comme à 2E2F, dans l’information, l’augmentation des bourses et la modulation des aides en fonction des revenus, des Régions, au premier rang desquelles la région Rhône-Alpes, qui abondent ces aides, les jeunes intégrant ces cursus sont de plus en plus incités et accompagnés. Et je me souviens de ces jeunes en BTS agricole, rencontrés au Salon de l’Agriculture, témoignant de tout ce que leur avait amené un stage en Suède, aux Pays-Bas ou en Allemagne. Mais il faut aller plus vite car tous ces secteurs sont aujourd’hui soumis à la concurrence mondiale et nécessitent une formation adaptée à ce contexte global.

Je cite rapidement les mesures engagées et qui vont dans le sens de cet élargissement.

Au moment de l’élaboration d’Erasmus +, à mon initiative, mes collègues européens et moi avions officiellement demandé à la Commission qu’un accès facilité à Erasmus soit proposé pour les filières professionnelles et technologiques, ainsi que les apprentis, action qui a permis d’y affecter des crédits spécifiques. Par ailleurs Erasmus + offre des formations gratuites en ligne pour les langues étrangères, et a développé le service volontaire européen pour toute personne âgée de 13 à 30 ans, quel que soit son niveau de diplôme ou de formation. De plus, un certain nombre d’établissements d’enseignement supérieur, directement ou via leurs fondations, accompagnent financièrement les jeunes qui en ont besoin et des associations comme « itinéraire international » amènent à la mobilité des jeunes peu ou pas qualifiés, issus des quartiers en politique de la ville, en les accompagnant dans un projet professionnel, de VAE ou de retour à la formation. Ce sont des initiatives là encore à amplifier et à multiplier.

Parce que je suis convaincue que l’accueil d’étudiants étrangers contribue, comme les séjours à l’étranger, à une culture internationale des étudiants, j’ai impulsé en 2013, dans la loi sur l’ESR, plusieurs mesures qui vont être élargies : visas pluri-annuels pour les étudiants en masters et en doctorats avec une extension prévue dès la licence dans la loi à venir sur les droits des étrangers, prolongation des titres de séjour pour donner davantage de temps aux doctorants étrangers de trouver un emploi en France, lieux dédiés pour l’ information, les démarches administratives et d’orientation uniques sur les campus en lien avec les préfectures (aujourd’hui, il y en a 25 et chaque regroupement universitaire, chaque COMUE en dispose), simplification des intitulés de nos licences, passées de 3 600 à 300 et de masters, de 5 800 à moins de 300, pour rendre notre offre de formation plus lisible donc plus attractive pour les étrangers.

Des mesures, comme la généralisation de cours dispensés dans une langue autre que le français, l’anglais mais pas seulement, l’intégration de l’international comme une compétence en soi dans la stratégie nationale de l’enseignement supérieur prévue par la loi, contribuent également çà l’internationalisation de notre culture, tout en développant l’ambition de la francophonie. Un exemple, les Moocs, développés en français et en anglais sur une plateforme commune, France Université Numérique, que j’ai lancée en décembre 2013, qui compte aujourd’hui plus de 1 million d’auditeurs dont plus de 15 % du Maghreb et d’Afrique.

Autre point de progression : la sollicitation à améliorer des Alumni, ces anciens élèves de nos écoles et universités, étrangers retournés dans leur pays d’origine ou Français travaillant à l’étranger. Ce sont nos meilleurs relais et nos meilleurs ambassadeurs. D’où l’initiative lancée par Laurent Fabius et moi en 2014, en nous appuyant sur Campus France et les établissements d’enseignement supérieur, de plates-formes dédiées, alumni.fr, animées par nos agences et les ambassades, dans des destinations cibles. L’objectif étant de maintenir un lien étroit avec les Alumni pour poursuivre l’attachement culturel et affectif qui les lie à notre pays et les impliquer dans des actions de coopération universitaire, économique et d’accueil des étudiants et chercheurs français à l’étranger.

Avec cet exemple, on voit bien une fois encore le lien étroit entre l’accueil d’étudiants par la France et la mobilité de ses étudiants : de ce point de vue, nous disposons de deux agences expérimentées, Campus France pour le rayonnement extérieur et 2E 2F pour la mobilité. Une plus grande synergie de ces deux agences sous tutelle interministérielle, pourquoi pas une fusion à terme, pourrait être bénéfique. Mais cette suggestion n’engage que moi, puisque j’ai retrouvé la liberté d’un parlementaire.

Enfin, dernier sujet livré aux contributeurs de cette table ronde : les étudiants français en mobilité vont d’abord en Europe, Espagne, Allemagne, Royaume-Uni en tête, puis aux Etats-Unis, au Québec, en Chine, en Australie… mais ils sont trop peu nombreux à aller en Inde, en Afrique, en Corée du Sud, en Malaisie, en Indonésie, en Amérique Latine hors Brésil, alors que ces pays connaissent une croissance tout à fait porteuse ainsi qu’une culture très riche.

Pour conclure vraiment mon propos introductif, je voudrais vous livrer une information qui redonne de la modestie à chacun d’entre nous sur l’impact de nos intiatives. Les flux vers la Corée du Sud ont récemment augmenté de façon significative, selon une étude ministérielle, pas seulement à cause d’universités qui comme Paris Diderot et bien d’autres ont développé des coopérations fructueuses, mais surtout à cause de l’engouement dès le lycée des jeunes pour le chanteur Psy, idole des jeunes Coréens devenue star mondiale grâce au web. Encore une fois, comme pour les bébés Erasmus, les ressorts de la mobilité sont parfois surprenants mais toujours bénéfiques dans leur résultat : celui de permettre à notre pays de garder ce caractère universel qui fait sa grandeur et sa richesse dans un monde de plus en plus globalisé.

Et le dernier mot revient à Erasme, « les gens trouvent leur suprême plaisir à ce qui leur est suprêmement étranger».»